J'aurais bien voulu vous en parler,
trouver les mots pour dire ce livre mais je ne sais pas.
Alors au lieu de m'éterniser sur ce qui ne vient pas,
je vous livre quelques extraits qui peut-être eux, seront raconter.
Vous êtes un formidable faiseur et raconteur d'histoires dont je ne me lasse
"Matteo ne le dit à personne, pas même à Guiliana, mais il vivait toujours la même journée.
Il était toujours au même endroit, au coin de la via Forcella et du vicolo della Pace.
Il ne parvenait pas à quitter ce trottoir. Il y passait des heures en pensée. Tout défilait sans cesse. La journée telle qu'elle s'était passée, la journée telle qu'elle aurait pu passer, les infimes et microscopiques changements qui auraient pu faire qu'elle ne se passe pas comme elle s'était passée. S'il avait marché un peu moins vite. S'il n'avait pas garé la voiture pour poursuivre à pied, ou s'il s'était garé ailleurs. Il lui aurait suffit de changer de trottoir, de passer du côté ombre - comme l'idée l'avait effleuré - ou de prendre le temps de s'agenouiller pour refaire le lacet de Pippo qui le lui avait demandé... Quelques secondes, chaque fois, auraient suffi, pour qu'ils soient ailleurs de quelques centimètres. Quelques secondes d'avance ou de retard et la trajectoire de la balle était évitée. Des événements dérisoires, une voix que l'on croit reconnaître qui lui aurait fait marquer un temps d'arrêt. Une vespa qui déboule et qui les aurait obligés à faire un pas en arrière. Mais non. Tout avait concouru à la rencontre terrible du corps et de la balle. Quelle volonté avait voulu cela ? Quelle horrible précision dans le hasard pour que tout convergeât ainsi. Etait-ce cela que l'on appelait le mauvais oeil ? Et, si, oui, pourquoi les avait-il choisis, eux, ce jour-là ? Par ennui ou par désir de jouer un peu ?"
"Pourquoi disiez-vous que la vie et la mort étaient plus imbriquées qu'on ne le pense ? demanda-t-il après un temps. Le Professore se passe la main sur le visage, sourit avec douceur et répondit: parce que c'est vrai... La société d'aujourd'hui rationaliste et sèche, ne jure que par l'imperméabilité de toute frontière mais il n'y a rien de plus faux... On n'est pas mort ou vivant. En aucune manière... C'est infiniment plus compliqué. Tout se confond et se superpose... Les Anciens le savaient... Le monde des vivants et celui des morts se chevauchent. Il existe des ponts, des intersections, des zones troubles... Nous avons simplement désappris à le voir et à le sentir..."
"Les ombres étaient en effet d'une incandescence variable. Certaines brillaient comme des feux follets, d'autres étaient si pâles qu'elles semblaient presque transparentes. C'est la règle aux pays des morts... les ombres auxquelles on pense encore au pays des vivants, celles dont on honore la mémoire et sur lesquelles on pleure, sont lumineuses. Les autres, les morts oubliés, se ternissent et glissent à toute allure vers le centre de la spirale... Dans la foule épaisse de ces dizaines de milliers d'ombres, il distinguait maintenant mille particularités. Certaines pleuraient en se déchirant les yeux, d'autres souriaient, embrassant la terre avec gratitude. Regarde celle-là... elle a les joues baignées de pleurs et sourit. Elle vient de sentir qu'un vivant pense à elle et c'est quelqu'un dont elle n'aurait jamais imaginé qu'il puisse se souvenir d'elle avant autant d'affection. Regarde. D'autres pleurent et s'arrachent les cheveux parce qu'elles pensaient que leur mémoire serait célébrée et découvrent, avec rage, que personne ne songe plus à elles. Ni leurs proches, ni leurs parents. Elles se vident et ternissent. Elles deviennent plus en plus pâles jusqu'à être totalement translucides et filent vers le néant."
Je te comprends. Moi-même je ne sais pas si je trouverais les mots qu'il faut pour parler de ce livre sur la vie, sur la mort. Je partage ton avis, Gaudé est un excellent écrivaint !
RépondreSupprimerJ'en profite aussi pour te dire que ton blog me plaît beaucoup. J'aime ce que tu partages ici.
Anne, une fidèle lectrice
Je viens de terminer Ouragan de L.GAUDE que j'ai beaucoup apprécié,j'ai découvert cet auteur par ce titre et note donc La Porte des enfers pour une future lecture Merci.
RépondreSupprimerJ'ai lu deux Laurent Gaudé mais pas celui-là. Les extraits donnent très envie... Peut être que cet été, sur la plage... :)
RépondreSupprimerJ'avais adoré ce Gaudé... Tant que je le fais lire cette année à mes lycéens. J'attends leurs réactions. Une belle réécriture d'Orphée. Un amour plus fort que la mort. Décidément un magnifique écrivain.
RépondreSupprimerEtonnement, La mort du roi Tsongor m'a beaucoup plus marquée que celui-ci, je trouve sa portée plus forte et universelle, peut-être parce que le texte s'apparente davantage à une fable que celui-ci...néanmoins, je dois reconnaître que Gaudé est un excellent écrivain.
RépondreSupprimerA bientôt
je l'ai aussi, mais ne l'ai pas encore ouvert...
RépondreSupprimerCherchant une image sur ce livre je suis arrivé sur ce blog. Et je lis l'article : nous sommes arrivés à la même conclusion "un très beau livre dont il est très difficile de parler". Oui, Laurent Gaudé est un grand.
RépondreSupprimerEn plus des livres ci-dessus j'ajouterais "Le soleil des Scorta" : superbe !